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Actualités de mars 2025
TÉMOIGNAGE Anonymisé
RECEVABILITE DE LA PREUVE SOUS CERTAINES CONDITIONS
Pour rappel, depuis un arrêt du 4 juillet 2018 la jurisprudence considère que le juge ne peut pas fonder sa décision uniquement, ou de manière déterminante, sur des témoignages anonymes.
En revanche, le juge peut prendre en considération des témoignages anonymisés de salariés s’ils sont corroborés par d’autres éléments permettant d’en analyser la crédibilité et la pertinence, c’est ce qui ressortait de 2 arrêts du 19 avril 2023 et du 11 décembre 2024.
Par une nouvelle décision du 19 mars 2025, la Cour de cassation assouplie encore sa position sur la recevabilité des témoignages anonymisés.
LES FAITS AYANT DONNES LIEU AU LITIGE
Dans cette affaire un salarié a été licencié pour faute grave au motif qu’il faisait régner un climat de peur au sein de l’entreprise et avait repris ses horaires d’équipe de l’après-midi, sans l’accord de son employeur qui l’avait affecté en équipe de nuit avec horaires aménagés à sa demande, afin de limiter ses contacts avec des collègues s’étant plaints de son comportement.
Le salarié conteste son licenciement devant le juge.
Pour apporter la preuve des faits, l’employeur a fourni aux juges deux constats d’audition, établis par un huissier de justice, recueillant les témoignages de cinq collègues du salarié licencié, qui évoquaient ses négligences volontaires dans le cadre de son travail et son attitude irrespectueuse, voire agressive tant verbalement que physiquement envers eux.
Ces témoignages avaient été anonymisés à la demande des salariés concernés par peur de représailles. Ainsi, le salarié licencié ne connaissait pas l’identité des personnes ayant témoigné contre lui. L’employeur ne produisait pas d’autre élément de preuve que ces deux constats.
Faute pour l’employeur de fournir d’autres pièces, la cour d’appel avait donc écarté les témoignages anonymisés et jugé le licenciement sans cause réelle et sérieuse.
La cour d’appel juge le licenciement sans cause réelle et sérieuse en considérant que ces constats d’audition n’avaient pas de valeur probante et que l’employeur ne produisait pas d’autres preuves.
L’employeur se pourvoit alors en cassation.
SOLUTION DÉGAGÉE PAR LES COUR DE CASSATION
La Cour de cassation rappelle que les témoignages anonymisés sont recevables s’ils sont corroborés par d’autres éléments.
Puis, elle ajoute qu’en l’absence d’autres éléments corroborant ces témoignages et permettant au juge d’en analyser la crédibilité et la pertinence, il lui appartient d’apprécier si la production d’un témoignage dont l’identité de son auteur n’est pas portée à la connaissance de celui à qui ce témoignage est opposé porte atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble.
Pour ce faire, le juge doit mettre en balance le principe d’égalité des armes et les droits antinomiques en présence, le droit à la preuve pouvant justifier la production d’éléments portant atteinte au principe d’égalité des armes à condition :
- que cette production soit indispensable à son exercice,
- et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi.
La Cour de cassation censure la cour d’appel.
En effet, les témoignages anonymisés avaient été portés à la connaissance du salarié licencié ; le principe du contradictoire avait donc été respecté.
De plus, ils avaient été recueillis par un huissier de justice, lequel est responsable de la rédaction de ses actes pour les indications matérielles qu’il a pu lui-même vérifier.
Enfin, il était établi que le salarié avait déjà été affecté à une équipe de nuit pour un comportement similaire à celui reproché dans la lettre de licenciement.
Dès lors, la production de ces témoignages anonymisés, non étayés par d’autres éléments, était indispensable à l’exercice du droit à la preuve de l’employeur tenu d’assurer la sécurité et de protéger la santé des salariés. Et l’atteinte portée au principe d’égalité des armes était strictement proportionnée au but poursuivi.
Il n’y avait donc pas lieu d’écarter des débats les deux constats d’audition aux fins de preuve établis par huissier de justice.
La Cour de cassation soumet ainsi la recevabilité des témoignages anonymisés, non étayés par d’autres éléments, à un contrôle de proportionnalité, comme elle l’a fait pour les preuves illicites ou déloyales.
Juriste
- 1 avril, 2025